lundi 1 juin 2009

~~~~ DIS, RACONTES-MOI L'ASIE CENTRALE ~~~~


Il y a des situations et des comportements que l'on comprend d'un regard, et puis il y a des choses plus profondes que l'on a du mal a saisir.
Alors on se dit qu'un peu de geopolitique des pays que nous traversons en Asie Centrale ne pourrait qu'eclairer nos lanternes, sans aucune pretention.
La source principale est le bouquin "Que sais-je - l'Asie Centrale contemporaine" de Olivier Roy ed. PUF que l'on vous recommande. On espere ne pas avoir fait d'erreurs de comprehension : ce n'est pas tout simple comme vous allez le voir !!!


L'Asie Centrale.

L'Asie Centrale est historiquement un espace de rencontre entre les peuples turcs, les civilisations persanes et musulmanes.
Par Asie Centrale, on entend les 5 republiques actuelles de l'Ouzbekistan, du Tadjikistan, du Turkmenistan, du Kazakstan et du Kirghyzstan. Ces republiques faisaient partie de l'URSS jusqu'en 1991, annee de leur independance.


3 types d'occupation du sol :

Le premier type correspond aux hautes montagnes du Tien Shan et du Pamir qui sont faiblement peuplees par des semi-nomades kirghyzes.


Le second type d'occupation du sol est le bassin des trois grands fleuves qui descendent du Tien Shan (Amou Daria = ancien oxus, Syr Daria et …?) : c'est la region de transoxianie (au dela de l’Oxus, egalement appelee turkestan qui ne correspond donc pas a un pays). La densite de population y est la plus forte d'Asie Centrale. La culture est urbaine et sedentaire, avec de grandes villes telles que Samarkande et Bukhara, organisees autour d'un systeme d'irrigation pour les cultures. Nous sommes la dans le coeur historique de l'Asie Centrale. Du fait de la sedentarisation et de l'organisation en irrigation, le pouvoir politique est fort. Cet espace a ete islamise tres tot, et a ete fortement influence dans l'histoire par les civilisations persanes meme si il y a eu une turquisation par la suite.


Le troisieme type correspond aux steppes du nord qui vont de la frontiere de l'Iran jusqu'en Mongolie. La densite de population est faible : il s'agit initialement du domaine des tribus nomades qui sont aujourd'hui sedentarisees. La population est tribale, turcophone, et faiblement islamisee.





A la croisee des chemins :

De par sa situation geographique, l’Asie Centrale est une zone de passage entre l'Asie Mineure, la Chine, l'espace Russe, l'Inde et l'Iran. Les relations ouest-est ont ete, dans l’histoire, commerciales et pacifiques : route de la soie de l'epoque romaine a la renaissance, arrivee des turcs progressive et pacifique... Les relations nord-sud ont par contre ete beaucoup plus conflictuelles sous la forme de nombreuses invasions. L'une d'elle est la conquete arabe en 712 qui a islamise l'Asie Centrale.



L'arrivee des Russes au milieu du XIXe :

Afin de se proteger d'une invasion mongole, le Kazakhstan a fait appel a la Russie qui a ainsi implante son pouvoir dans le pays.

En 1889, une loi est votee pour favoriser l'immigration russe au Kazakhstan, qui s'est elevee a 45% de colons en fin de periode sovietique !! Bien entendu, c'est un bouleversement economique et culturel : les terres etaient initialement occupees par des nomades eleveurs de betail, que les colons ont repousses pour se les approprier. De la est ne un sentiment nationaliste kazaque fort qui jouera son role en initiant l'independance des republiques d'Asie Centrale.
Une fois implantee au Kazakhstan, la Russie s'est tourne vers la transoxianie ou elle a introduit la monoculture du coton (entrainant par la meme occasion l’assechement de la mer d’Aral).


La creation de l'URSS (1920 - 1924) : union ou division ?


Devant la difficulte d'implanter le bolchevisme en Asie Centrale (pas de relais communistes indigene), devant le poids des identites transnationales (islam, pansilvanisme, panturquisme, civilisations persanes), et devant la necessite de gerer les diversites ethniques, les bolchevics ont mene une politique de division de l’Asie Centrale en entites politiques (correspondant officiellement a des groupes ethniques), et composant avec la Russie l'URSS.


Le but etait de casser les identites transnationales en mettant les groupes ethniques en competition pour la terre et l'eau, tout en creant de nouvelles categories de populations qui doivent tout au systeme sovietique.


Pour cela, le systeme sovietique joue sur plusieurs tableaux :

Tout d’abord la redefinition des groupes ethniques en justifiant de facon scientifique les nouveaux decoupages et regroupements,

Ensuite en “fabricant” de nouvelles langues, changeant si besoin les alphabets (ce qui interdit aux nouvelles generations l'acces aux ecrits anterieurs) ou encore la prononciation. La culture nationale est ainsi maintenue en position d'inferiorite, obligeant a passer par la culture russe pour se former.

Par l’attribution de nouveaux territoires et institutions. Les nouvelles frontieres interieures ont ete definies de facon totalement incoherente, que ce soit par rapport aux anciens emirats dont les 3 capitales sont aujourd'hui en Ouzbekistan (dont Bukhara et Samarkande pourtant tadjikophones), au niveau ethnique (population ouzbeque importante au Tadjikistan) ou au niveau geographique : en hiver, il faut passer par le Tadjikistan pour relier Tachkent a la vallee du Ferghana, pourtant tous deux en Ouzbekistan.

Enfin, les capitales ont toutes ete creees en peripherie des etats.

Le decoupage des pays a donc ete politique et strategique, avec la volonte de rendre non viable l'independance des etats, de renforcer le pouvoir sovietique et de se donner les moyens d'intervenir au-dela des frontieres pour etendre son influence en jouant sur les solidarites ethniques transnationales.


En dotant les etats de RSS des attributs d'un etat nation (sauf l'armee), le systeme sovietique a pourtant contribue a faire germer un imaginaire national et a permettre le passage a l'independance.



L'Islam :

Apres avoir ete persecutee et maintenue dans la clandestinite pendant 70 ans, la religion musulmane a reintegre l'Asie Centrale au moment des independances en 1991, soit sous la forme d'un islam officiel qui rentre dans le gouvernement (islam radical nationaliste au Tadjikistan), soit sous la forme d'une contestation sociale face a un regime autoritaire (Ouzbekistan, avec un islam relie a la forme afghano-pakistanaise d’Alkaida, soutenu par des milieux arabes). Les 3 autres pays d'Asie Centrale ne presentent pas de mouvements radicaux nationalistes.Pour longtemps, ce n’est pas l’islam qui jouera un role dans les mouvements populaires en Asie Centrale, mais l'ethnicite reconstruite par les independances.



L'independance des etats d'Asie Centrale :

Le 19 aout 1991, une tentative de coup d'etat echoue a Moscou, mais Boris Elstine (president de la federation de Russie) proclame l'independance de son pays, sans doute pour mieux marginaliser Michael Gorbatchev, dernier chef d'etat sovietique.

Les 5 republiques d'Asie Centrale proclament egalement leur independance la meme annee.
Petite parenthese : on sait enfin la signification du suffixe "stan" ajoute au moment de l'independence a la Turkmenie et la Kirghyzie : il signifie en persan "le pays de".

Une politique de nationalisation par la langue contre les russophones et par opposition aux republiques voisines est lancee, y compris dans les alphabets. Partout (y compris au Kazakhstan avec 45% de russophones), la langue de l’ethnie titulaire est proclamee seule langue de l’etat, meme si le Kazakhstan, le Kirghyzstan et le Tadjikistan feront plus tard du russe une langue de communication.

La nationalisation passe aussi par les postes politiques ayant pour consequence un depart massif des russes, des allemands et des polonais. Pourtant, tous les citoyens sovietiques residant dans le pays au moment de l’independence ont ete automatiquement declares citoyens des nouvelles republiques meme s’ils ne parlent pas la langue.

Les rues ont ete rebaptisees, ce que nous avons decouvert a notre insue, tournant et retournant pour trouver les noms figurant sur notre carte.

Suite a l'independance, les 5 pays d'Asie Centrale ont ete integres dans la CEI.


Independance et apres ?

Une nouvelle utilisation de la route de la soie ?

Des l’independance, les pays producteurs d'hydrocarbures ont essaye d’exporter leurs produits directement vers les marches exterieurs (Turquie, sous continent indien, Europe, E.U.), sans passer par la Russie. Les compagnies occidentales ont investi massivement a la vue des gisements potentiels en Caspienne et Asie Centrale.

Se pose alors le choix de la voie d’exportation : au nord par la Russie (oui, mais on retombe dans l'ancien systeme), au sud par l’Iran (ce qui ne plait pas du tout aux EU du fait des relations avec Israel) ou encore a l’ouest par l’axe Bakou-Georgie, prolongee dans ce dernier cas soit par la mer noire, soit d’une route terrestre par la Turquie.
Les Etats Unis sont bien sur favorables a la voie par la Turquie, ce qui permet a la fois de la recompenser, d'ecarter l’Iran et de marginaliser la Russie.
La route de la soie refait egalement parler d’elle avec un projet europeen qui parcourerait toute l’Asie Centrale (Chine – Mer noire), comprenant un systeme d’oleoducs double de transports routiers, ferroviaires et maritimes, ainsi que le developpement des communications.
Mais les compagnies petrolieres sont reticentes a investir dans ces grands projets, preferant renover les axes existants en Russie, et ne pas ecarter l’Iran qui est un partenaire potentiel et semble le meilleur chemin pour exporter le gaz.


Pas facile de reformer l’economie !

Tous les regimes d’Asie Centrale evoluent depuis l'independance vers un presidentialisme autoritaire et une suppression de l’opposition.

Aucune election legislative ou presidentielle n’a d’ailleurs ete consideree comme reguliere par l’OSCE depuis 1991.
Les grandes organisations (FMI, banque mondiale) exigent une privatisation complete de l’economie et de la terre. Cette privatisation a genere des conflits, par exempls a Osh (Kirghyzstan) entre ethnies kirghises et ouzbeques pour la possession de la terre.


Quelques mots sur les pays traverses :

Kazakhstan :
La population a ete tres russifiee (jusqu’a 45%), ce qui a entraine des mouvements nationalistes kazaques forts. Ils sont par exemple les seuls a s'etre souleves pendant la seconde guerre mondiale.
Le Kazakhstan connait aujourd’hui un exode massif des russes vers leur pays d’origine (tres marque au sud).
A la suite de l’independence, l’etat a le souci de maintenir de bons rapports avec Moscou (relations commerciales pour l’evacuation du gaz dont les reserves sont importantes dans le pays), tout en organisant la kazakisation du pouvoir.
Chose curieuse : le president a ordonne le deplacement en 2000 de la capitale d’Almaty vers Astana dans le nord, au milieu des steppes, pour deplacer le centre de gravite du pouvoir.
Ici on parle une langue proche du turc.

Kirghyzstan :

Au moment de l’independance, chose rare, le president n’etait pas un ancien premier secretaire du PC. Il a tout de suite adopte une position democratique et liberale, avec la volonte de faire du Kirghyzstan la “Suisse de l’Asie Centrale”. Plusieurs affaires de corruption ont un peu terni cette image.
Le 23 juillet prochain, des elections presidentielles eliront Bakiev pour son 3eme mandat. Comme vous le voyez, le suspens est a son comble ici. L’OSCE (dont nous avons rencontre des representants a Tash Komur) considere deja cette election comme non democratique.
Au niveau geographique, le Kirghyzstan est un pays tres cloisonné par les montagnes. Le nord (avec la capitale Bishkek) est tourne vers le Kazakhstan, tandis que le sud est oriente autour de la vallee du Ferghana, vers l’Ouzbekistan et le Tadjikistan.
Des problemes avec l’Ouzbekistan pour l’approvisionnement en gaz et la repartition de l’eau ont deteriore les relations entre les deux etats, entrainant des problemes reguliers au niveau de la vallee du Ferghana (Osh).
Le pays s’efforce d’etre en bonnes relations avec la Russie et au Kazakhstan.
Le Kirghyzstan connait actuellement un exode de la population russe et de ses experts.
Le Kirghyzstan n’a pas vraiment d’opportunites economiques. Il joue la carte du tourisme qui en est ici a ses debuts.
Ici on parle aussi une langue proche du turc.

Tadjikistan :

C’est un pays tres montagneux, ce qui contribute a creer des entites regionales fortement marquees. Le pays etait deja tres divise au moment de la chute de l’URSS.

En 1992, juste apres l'independance, une guerre civile et des luttes claniques (qui couvaient deja du temps de l'URSS) eclatent au Tadjikistan. Aucun pouvoir fort n’en a emerge. Rakhmonov (soutenu par les russes) fut porte a la tete du gouvernement pour en sortir, ce qui a ete tres conteste.
A la fin de cette periode, le niveau de vie du pays avait recule de 20 ans, accentue par de graves secheresses entrainant une periode de famines. A Khorog par exemple, la monnaie avait ete supprimee et le troc remis en place. Le parc de la ville (dont on parlera dans un prochain message) avait ete transforme en champs.

Rakhmonov est toujours president (quand on aime on ne compte pas !). Il renforce petit a petit son pouvoir personnel. Le cote positif est que l’economie a profite de cette stabilite politique relative : le Tadjikistan a de nombreux minerais sur son territoire, ainsi qu’une des plus grandes usines d’aluminium du monde.
Mais l’economie a egalement profite d’une economie parallele importante qu’est le trafic de drogue en provenance d’Afghanistan (1300 km de frontiere commune, on estime que la moitie de l'activite economique du pays est plus ou moins lie a la drogue... ca fait peur !).
La partie est du Tadjikistan (de la frontiere jusqu’a Murgab) est en majorite habitee par des kirghizes. Ceux que nous avons rencontres ne se considerent d’ailleurs pas comme tadjiks. Les populations rencontrees au sud de Murgab sont par contre tadjiks, avec des modes de vie differents (pas de yourtes ni de chevaux par exemple).
Le Tadjikistan est aujourd'hui tres pauvre et fragile : des cyclistes que nous avons croises, venant de Dushanbe, qui avaient rencontre un general au consulat, ont dernierement ete detournes de la route principale pour eviter une zone de conflits (officiellement pour eviter un eboulement), dans laquelle un des opposants principaux au regime aurait ete tue. On se demande ce que cela va donner.
Ici on parle une langue proche du perse.

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